Canta la Maddalena

Musique Sacrée

Le programme emblématique de Concerto Soave

La magnifique production d’œuvres musicales dédiées à Marie Madeleine coïncide avec l’apogée de la monodie dans la Rome du milieu du Seicento. La Contre Réforme a remis au premier plan le culte de la pécheresse repentie, et permis d’utiliser tous les moyens rhétoriques de la « nouvelle musique » monodique pour exprimer son chant, qui combinait douceur, féminité, amour, douleur et repentance.

Ce programme présente un bouquet de chefs-d’œuvre issus de ce riche patrimoine. Les grands compositeurs qui ont résidé à Rome, siège de l’Eglise, de la Papauté, et de toutes les intrigues, ont ainsi donné leur propre version du « chant de Madeleine ». Luigi Rossi, lui dédie un de ses plus beaux lamenti, faisant pratiquement de Madeleine un personnage d’opéra. Beaucoup plus retenu, Girolamo Frescobaldi, fait de sa Maddalena alla Croce, un modèle de concision. Si les pièces de Domenico Mazzochi, Giovanni Felice Sances et Benedetto Ferrari ne sont pas explicitement liées à Madeleine, elles expriment par la douleur ou par la sensualité du Cantique des Cantiques, deux visages de la Sainte. La musique instrumentale associée à ses motets illustre la richesse de la vie musicale romaine au milieu de XVIIe siècle.

 

Luigi Rossi (c. 1597/98-1653) transforme pratiquement Madeleine au pied de la Croix en personnage théâtral, en lui dédiant un grand lamento rassemblant tous les lieux communs du genre, du désespoir au tendre souvenir, de la colère à la douce résignation. On y trouve aussi mêlés les influences du récitatif monteverdien, dont le modèle demeure le célèbre Lamento d’Ariana, et l’avènement de l’aria. La basse obstinée de ce dernier, très proche de la basse de passacaille, donne d’ailleurs à l’œuvre une unité formelle nouvelle. 

Dans sa Maddalena alla Croce, Girolamo Frescobaldi (1583-1643) se situe presque à l’opposé par la concision de son œuvre. Peut-être faut-il y voir une influence des compositions raffinées des florentins. En effet, de même que son autre sonnet spirituel « Dove sparir », elle fait partie des  Arie Musicali, publiés en 1630 à Florence.
Ce dernier motet, d’une touchante nostalgie, nous amène à parler d’un autre genre qui connut une immense fortune. Il s’agit des motets de « contrition », où le poète (souvent un ecclésiastique) se penche sur la vanité et la fragilité de la vie. Ainsi des œuvres du génial Domenico Mazzochi (c. 1592 - 1665), qui fit sa carrière sous la protection de grands personnages  romains. Un compositeur qui montre une écriture monodique raffinée, aux dissonances frappantes, toujours chargée d’une profonde émotion.


Le style de Giovanni Felice Sances (c. 1600-1679) est beaucoup plus naturel et fluide, plus directement tourné vers «l’avenir», bien qu’il ne renie jamais ses attaches monteverdiennes. Formé au Collegio Germanico de Rome, Sances passera une grande partie de sa carrière à Vienne, où il prendra en 1669 les fonctions de Maître de Chapelle à la cour impériale. Son motet « Audite me » offre un mélange typique d’extraits du Cantique des Cantiques. Sa suavité dans l’évocation des parfums du Liban, l’utilisation des basses obstinées de ciaccona et passacaglio, alors fort à la mode, en font un exemple parfait des motets de son temps. Il pourrait évoquer la figure de l’épouse du Cantique, d’ailleurs souvent confondue avec celle de Marie à l’époque, mais aussi celle de Madeleine dans son amour pour le Christ.

Seule œuvre non romaine du programme, la cantate spirituelle du vénitien Benedetto Ferrari (c. 1603/04-1681) nwous ramène aux œuvres de réflexion sur le sens de la vie. Composée de quatre parties basées sur la répétition perpétuelle d’une basse de passacaille, seulement ponctuée de quatre brefs récitatifs montrant l’évolution d’une âme qui ne peut connaître l’amour que si elle connaît la douleur, cette œuvre magistrale nous rappelle que Ferrari est vraisemblablement l’auteur du final de l’Incoronazione di Poppea. C’est un éblouissant tour de force, qui réussit à provoquer une grande émotion principalement par les dissonances créées entre la partie du chant et la basse.

Les œuvres instrumentales étaient indissociables des concerts sacrés. Les pièces choisies ici demeurent dans le même climat de recueillement que les œuvres vocales, que ce soit la diminution sur le célèbre motet de Giovanni Pierluigi da Palestrina (ca. 1525-1594),  ou dans les explorations du Tedesco della Tiorba Girolamo Kapsberger (1580-1651), Œuvre « expérimentale », la Toccata Settima de Michelangelo Rossi (c. 1601-1656), élève de Frescobaldi, explore les plus extrêmes limites du chromatisme permises par le tempérament mésotonique.

Ainsi, même dans les œuvres instrumentales, toutes les possibilités sont explorées pour plaire, émouvoir et convaincre l’auditeur.